« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » (La Rochefoucauld, 1678, Réflexions ou sentences et maximes morales). Malgré le pouvoir que confère la langue pour actualiser des expériences humaines aux yeux des récepteurs, face à la mort, elle semble incapable de la traduire fidèlement. Elle se réfugie dans la production de propos constatifs et pragmatiques. Privés de contact direct avec l’expérience, puisqu’aucun mort ne dispose des moyens linguistiques pour nous dire sa mort, nous en avons une connaissance rudimentaire et nous ne pouvons l’exprimer qu’à travers l’expérience de l’autre. Saisir la mort par le langage c’est tenter d’exprimer l’ineffable. Parmi les procédés d’appréhension de cette notion, le discours religieux a grandement investi l’allégorie en créant pléthore de représentations qui incarnent la mort : Azraël dans les traditions biblique et coranique, Thanatos chez les Grecs ou encore la figure de la faucheuse.

Sur le plan lexicographique le mot a un sens majeur de cessation de vie. Outre ses emplois en expressions qui véhiculent le sens d’une expérience extrême, à l’oral, la mort et ses synonymes s’emploient de plus en plus dans un sens synonyme d’« agréable » comme quand on dit « c’était une tuerie, cette soirée ! » qui atténue grandement le sens premier du mot. Appartenant au même champ lexical, le mot « suicide » n’est apparu qu’aux XVIIe – XVIIIe siècles et au Moyen-Âge on employait plutôt les périphrases « être homicide de soi-même », « s’occir soi-même », ou « se meurtrir » qui témoignent du fait que, à l’époque, « le suicidé était considéré avant tout comme l’auteur d’un crime, non comme sa victime » (Jean-Claude Schmitt, 1976, Annales. Economies, sociétés, civilisations).

« La querelle des têtes tranchées » (Grégoire Chamayou, 2008, Revue d’histoire des sciences) à l’aube de la Révolution montre comment à la fois science et littérature tâtonnent dans leurs connaissances de cette expérience. En effet, l’utilisation abusive du « rasoir national » a fait émettre des doutes de la part de scientifiques sur l’instantanéité de la mort par décollation, comme l’anatomiste allemand Samuel Thomas Sömmerring. Des écrivains à leur tour, comme dans la nouvelle Le secret de l’échafaud (Villiers de l’Isle-Adam, 1888), traitent aussi de cette question. Villiers de l’Isle-Adam imagine qu’un médecin aurait convaincu un condamné à mort de s’engager à cligner trois fois de l’œil droit une fois décapité, pour prouver la persistance de la vie dans sa tête coupée. La question demeurera non tranchée : « Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas de mal ! » (Hugo, Le dernier jour d’un condamné, 1829).

Faute de pouvoir saisir l’essence de la mort, les hommes ont tenté de l’utiliser pour donner sens à la vie. Faute de pouvoir répondre au comment de la mort, l’on tente de répondre au pourquoi. La littérature épique, dès l’Antiquité avec L’Iliade et l’Odyssée d’Homère, valorise, par exemple, les morts glorieuses et héroïques. Ainsi, Achille choisit une courte vie glorieuse au lieu d’une longue vie obscure. Dans la Chanson de Roland, le héros éponyme refuse de rappeler l’armée de son roi et décide de faire face à l’attaque ennemie sans renforts. Il meurt sur le champ de bataille, et prend la peine avant d’expirer de préparer une mise en scène : il pose sous son corps son épée et son cor, et se positionne face à l’ennemi, afin qu’on dise « qu’il fut mort cunquerant » (la chanson de Roland). D’où le concept de « mort glorieuse ».

La mort peut aussi revêtir une valeur moralisatrice, tel est l’exemple de « la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf » et qui « s’enfla si bien qu’elle creva » (La Fontaine, 1668, Fables). Elle exprime l’échec d’une catégorie sociale voire d’une idéologie que le personnage mort semble représenter : Julien Sorel dans Le rouge et le noir semble incarner l’ambition du bas peuple confrontée aux classes supérieures. Il demande à son ami de « reposer » après sa mort dans la grotte où ses ambitions d’ascension sociale lui ont été inspirées. « Qui sait ? peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort » (Stendhal, 1830, Le Rouge et le Noir). De même, le personnage de Phèdre et son destin funeste sont interprétés comme une réalisation de la pensée janséniste (Racine, 1677, Phèdre).

La meilleure manière de conclure une tragédie pour les Grecs fut le suicide, car il montre l’aspect inéluctable du destin qui s’abat sur le personnage. Mais le suicide demeure un thème familier de la littérature : Roxane (Montesquieu, 1721, Lettres Persanes), Emma (Flaubert, 1857, Madame Bovary), l’inspecteur Javert (Hugo, 1862, Les Misérables), Thérèse (Zola, 1867, Thérèse Raquin), ne sont que des exemples de personnages si désespérés qu’ils s’ôtent la vie, même si leurs motivations diffèrent grandement entre échec amoureux, culpabilité, ou humiliation insupportable.

Choisie ou subie, douce ou cruelle, glorieuse ou honteuse, que l’on en soit l’auteur ou la victime, c’est à la mort et à ses représentations en littérature et en discours divers francophones que l’intérêt se bornera, sans limite d’époque ou de géographie.

Sans prétendre à l’exhaustivité, les propositions de communication peuvent s’ancrer dans l’un des axes suivants :

  • L’apport épistémologique de la littérature concernant la mort.
  • La valeur symbolique de la mort dans une œuvre et ses fonctions, notamment narratologiques, pour mesurer la pertinence de cette décision de l’auteur de « tuer » un ou plusieurs de ses personnages.
  • Étude des représentations de la mort.
  • Étude et interprétation des morts de personnages qui prêtent à débat : Par exemple, Valmont (Laclos, 1782, Les liaisons dangereuses) a-t-il décidé de se laisser tuer ou a-t-il été tué ?
  • Approche linguistique diachronique pour saisir l’évolution de l’usage du champ lexical de la mort et des paradigmes qui lui sont associés en discours écrit et oral. Aussi, quels sont les modes de représentation de la mort, et quels signes non linguistiques lui sont-ils corrélés : la couleur noire, blanche ; les icônes sataniques ou bibliques (la fourche, la faux ou la croix…).
  • La dramatisation de la mort, que ce soit en littérature, ou dans les médias.
  • Le réinvestissement du thème de la mort dans d’autres registres, comme le registre humoristique (Jean Teulé, 2007, Le magasin des suicides)

Les moyens de recherche investissant des technologies comme le logiciel Tropes qui aident à quantifier efficacement les mots appartenant à un champ lexical particulier sont les bienvenus.