Il n’y a pas de Prométhée sans feu et le feu est rarement sans rappeler Prométhée. Cette alliance du feu et de Prométhée a constitué au fil des siècles une rêverie incontestablement créatrice, celle de la volonté et de l’énergie, mais aussi de la transgression allant jusqu’à des expressions nourries de désacralisation et d’iconoclasme.
« Ô Jupiter, abaisse ton regard sur ma création : elle vit ! Je l’ai formée à mon image ; je voulais une race semblable à moi pour souffrir, pour pleurer, pour sentir et jouir et te dédaigner, comme je fais. »
Goethe, Prométhée.
Il existe une humanité d’avant Prométhée et une autre d’après, tributaire de ses actes recréateurs de l’humain. Figure de la rupture et de la révolution, il nourrira avec enthousiasme et acharnement les aspirations de l’Homme, aspirations tantôt politiques et sociales, tantôt philosophiques et intellectuelles. Le référent prométhéen est parfois manifeste et déclaré et parfois latent et suggéré car, si le mythe n’est pas évoqué, un feu ou un flambeau se charge souvent de le révéler. Emblème de l’humanisme, il revient de manière irrécusable pour habiter des projets de société, politiques et éthiques, mais aussi pour se constituer en thèmes philosophiques, littéraires ou artistiques.
Il est difficile de réduire le Prométhée de départ, c’est-à-dire le Prométhée originel, celui des cosmogonies grecques, à une figure univoque. En vérité, le mythe est plus complexe qu’on ne pourrait le croire, plus problématique que cela puisse paraître. Ce mythe peut être interprété différemment, confinant même à l’opposition. La présence des mythèmes prométhéens est tantôt appuyée, tantôt suggérée, avec des accents qui les relient au motif de la culpabilité. C’est du moins ce que nous pouvons saisir en examinant les différentes facettes du mythe dont dans la plupart des réinvestissements, donnent l’avantage à Zeus (ou Jupiter) qui a longtemps eu le dernier mot. Le défi prométhéen demeurait donc bien en-deçà de ce que nous pouvons attendre ou espérer de l’humain face au divin. S’agit-il d’illusion, d’appropriation du mythe par la lecture ou encore d’idéologisation orientée ou biaisée ?
Il serait ainsi intéressant de revenir aux sources premières du mythe de Prométhée, de les comparer pour ensuite étudier les différents glissements, ou avatars, que nous invoquons depuis bien des siècles et que nous considérons comme figure de ralliement, ontologique, éthique, et esthétique. Ralliement parce que notre Prométhée apparaît en un moment inaugural de désacralisation et de re-sacralisation ou de transfert laïcisant du sacré.
Prométhée est un acteur de la mythologie qui est toujours sujet à controverse, depuis les Grecs anciens. Une interrogation philosophique en quête du sens et de vérité conjointe à divers domaines du savoir apporterait un éclairage décisif.
C’est pourquoi le regard des philosophes est sollicité pour un colloque consacré à Prométhée. Celui des mythologues et les anthropologues est également nécessaire en vue de remettre le mythe dans son contexte historique et culturel premier et de le comparer à des figures mythologiques similaires ou opposées, existant dans d’autres cultures ou dans d’autres contextes historiques. Pouvons-nous en effet ne pas rappeler que la figure de Prométhée, malgré son emprise et sa richesse symbolique, n’est pas universelle et demeure occidentale ? D’autres cultures ont sans doute leurs Prométhée(s) dont les incarnations peuvent différer de celles occidentales.
Par ailleurs, cette figure omnipotente de la mythologie est avant tout le noyau d’une matrice narrative. Deleuze parle de « structure sémiologique des récits d’apprentissage », qui était à l’origine du récit littéraire, romanesque d’apprentissage. Dans ce sens, c’est d’abord dans la littérature que Prométhée a été le plus mis à l’honneur. Il est des productions littéraires qui restituent le mythe et d’autres qui s’en inspirent largement ou s’en détachent pour le critiquer et le dépasser. Il existe ainsi des Prométhée(s) dramatique, poétique et romanesque, bref des figures prométhéennes littéraires protéiformes. D’ailleurs, dans Frankenstein ou Prométhée moderne, Marie Shelley démontre que Prométhée est bien une figure plurielle.
Certains littérateurs se sont en outre intéressés spécifiquement à la langue comme enjeu de pouvoir. Ils ont fait parler Prométhée avec l’énergie dispensatrice du salut, ne serait-ce que pour examiner les rapports de forces, qui incontestablement se jouent dans le territoire de la langue, entre le voleur de feu et l’instance divine qui s’est érigée en gardienne pérenne de l’élément sacré.
Il n’en demeure pas moins que Prométhée est également un thème éminemment artistique. Des symphonies lui sont dédiées mais aussi des sculptures et des peintures. C’est pourquoi il faudrait en outre apporter des éclairages esthétiques sur l’iconographie abondante relative au mythe.
Par conséquent, l’intérêt nous semble scientifiquement édifiant de consacrer un colloque à Prométhée, en s’adressant aux professeurs et aux chercheurs d’horizons et d’intérêts différents, afin de venir enrichir ce débat pluridisciplinaire.
Pour appréhender la figure de Prométhée dans les mythes, les arts et la littérature et en vue d’en interroger le potentiel de subversion et d’émancipation, plusieurs axes nous semblent possibles :
- Mythe et origines de Prométhée ;
- Prométhée dans la littérature, les sciences et les arts ;
- Prométhée aujourd’hui : fortune, représentations et réécriture(s) ;
- Du langage comme enjeu de pouvoir et de lutte entre le divin et l’humain.
Les propositions (titres, résumé de 300 mots et CV ) doivent être envoyées avant le 1er mars 2022 à l’adresse suivante : prometheesousse2022@gmail.com
Le retour du comité scientifique vous sera notifié au plus tard le 7 mars 2022.
Comité scientifique
- Faïka Besbes Bannour
Bibliographie
- André Gide., Le Prométhée mal enchaîné, Paris, Gallimard, 1920.
- Louis Séchan, Le mythe de Prométhée, Paris, Presses universitaires de France, 1951.
- Raymond Trousson, Le thème de Prométhée dans la littérature européenne, Droz, 1964, 2 vol. (2e éd. augmentée 1976 ; 3e éd. 2001.
- Jean-Pierre Vernant, « Le mythe prométhéen chez Hésiode », in Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, Maspéro, 1974.
- Dominique Briquel, « Mahābhārata », crépuscule des dieux et mythe de Prométhée [archive], Revue de l’histoire des religions, Année 1978, Volume 193, Numéro 2, pp. 165-185
- Robert Triomphe, Prométhée et Dionysos, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1992.
- Georges Charachidzé, Prométhée ou le Caucase. Essai de mythologie contrastive, Paris, Flammarion, 1986.
- Georg Lukacs, La Théorie du roman, Gallimard, Paris, 1920.
- Jacqueline Duchemin, Prométhée — Histoire du mythe, de ses origines orientales à ses incarnations modernes, Les Belles Lettres, coll. « Vérité des mythes », Paris, 2000.
- Mircea Eliade, Images et symboles, Tel Gallimard, Paris, 1952.
- Mircea Eliade, Le Mythe de l’éternel retour, Gallimard, Paris, 1969.
- Robert C. Colin., « Le mythe de Prométhée et les figures paternelles idéalisées » Dans Topique 2003/3 (no 84), pages 149 à 160.
- Sylvie Mullie-Chatard, De Prométhée au mythe du progrès, Mythologie de l’idéal progressiste, l’Harmattan, 2005.
- Eleni Papalexiou, « Le mythe de Prométhée et ses représentations contemporaines », Créatures et Créateurs de Prométhée, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2010.
- Patrick Kaplanian, Mythes grecs d’origine, vol. I : Prométhée et Pandore, éd. L’entreligne, Paris, 2011.
- Marie Shelley, Frankenstein ou Prométhée moderne, Bragelonne, 2021.